"Je voudrais que mes vêtements provoquent un effet madeleine de Proust, qu’ils transportent vers un souvenir agréable, ressentir des odeurs, avoir ce sentiment particulier de léger frisson qui survient lorsqu’on revit un moment particulier qui était stocké dans la mémoire."
Ruben Bissoli, âge, ne vaut mieux pas le dire (rires). Je suis issu de deux écoles de mode très différentes, la première est Istituto Marangoni Milan, la seconde est Studio Berçot à Paris. J’ai appris deux façons très différentes de travailler mais finalement très complémentaires.
J’ai toujours aimé dessiner étant enfant. Je dessinais un peu de tout, mais un jour, j’ai commencé à dessiner des tenues (plutôt des costumes) et à les découper pour les assembler sur des sortes de poupées en papier. Je pense que la sensibilité pour le vêtement me vient de ma mère, qui m’a toujours laissé choisir mes propres vêtements et aussi les siens dès le plus jeune âge.
Ma marque s’appelle 8IGB community clothing. Le slogan community clothing est important pour moi car c’est le nom que mon groupe d’amis donnait à l’immeuble où on habitait lors de la création de la marque. L’âme 8IGB existait avant que j’en fasse une marque de vêtements, ma mission était celle de traduire l’incroyable atmosphère qui régnait dans cet immeuble en vêtements. Certes, je suis seul à créer les pièces, mais derrière, j’ai un fort groupe de soutien moral.
8IGB a débuté avec de faux vêtements, principalement des t-shirts, créés digitalement et présentés sur les réseaux sociaux. Au bout de l’énième message « où je peux acheter ça ? », j’ai décidé de les fabriquer réellement, au début en customisant, maintenant 8IGB a de vrais patronages et un véritable atelier derrière qui produit les vêtements.
Détournement, ironique, culture populaire et, je suis obligé d’en rajouter un quatrième, enfance. 8IGB aime utiliser des éléments que tout le monde croit connaître par cœur et les détourner pour prouver que la réalité n’est pas toujours ce que l’on croit, et qu’au fond, il n’y a pas de réalité. La marque est peut-être plus dirigée vers un public sensible à la mode, mais elle aime bien penser qu’elle peut parler à un public plus large car elle utilise des codes de la culture populaire qui peut interpeller n’importe qui. Enfance, parce que 8IGB utilise souvent des références qui viennent du monde de l’enfance (du moins celle de ma génération) comme un moyen d’évasion et plonge les gens dans un univers moins pesant et plus rêveur. J’espère avec 8IGB susciter un sentiment de nostalgie positif et énergisant.
L’enfance s’exprime dans les inspirations, mais je crois surtout dans la façon de les traduire dans les vêtements, parfois un peu volontairement de façon littérale et naïve. J’aime provoquer le sourire. Dans la communication également, j’essaye toujours de m’amuser et de faire les choses de manière ludique, je prends le temps de trouver un petit twist amusant, même pour annoncer les soldes (rires).
Le logo est très reconnaissable, donc quelque part, il est un peu devenu la signature. Mais en termes de vêtements, je pense que les découpes brodées sur les côtés des pantalons, qui rappellent les chaps western, sont devenues un élément très reconnaissable.
Je voudrais que mes vêtements provoquent un effet madeleine de Proust, qu’ils transportent vers un souvenir agréable, ressentir des odeurs, avoir ce sentiment particulier de léger frisson qui survient lorsqu’on revit un moment particulier qui était stocké dans la mémoire. C’est beaucoup demander. Si les gens se sentent fiers, différents et uniques, c’est déjà une grande satisfaction.
Oui bien sûr, plus qu’à n’importe qui car elles parlent de mes références, mon enfance. Les vêtements sont directement connectés à ma mémoire.
Glenn Martens (Y Project), Martine Rose, Demna, Botter, Masayuki Ino (Doublet), et de la vieille garde, J.P. Gaultier, Raf Simons, Martin Margiela…. et beaucoup d’autres. La liste est longue, heureusement (ou malheureusement), il y a beaucoup de créateurs incroyables avec des talents exceptionnels.
J’aimerais collaborer avec une marque de chaussures et plus particulièrement CAMPER. J’aime beaucoup camper lab, leur ligne commerciale a beaucoup de potentiel et se différencie vraiment des autres marques. Que ça marche ou non, ils continuent dans leur style et je trouve ça très fort. Sinon, même si c’est vraiment très très loin d’être possible maintenant, j’aimerais un jour avoir la chance de diriger une saison chez Jean Paul Gaultier. Gaultier, c’est un des premiers créateurs qui m’ait donné envie de faire ce métier; le fait qu’on l’appelait « l’enfant terrible » n’est pas anodin.
La mode peut être plusieurs choses selon qui la fait. Certains en font un art, d’autres de l’artisanat, d’autres de la science et d’autres juste du pur business. La mode est très vaste et variée, elle peut être dix choses à la fois.
Donnez-vous le temps et les moyens de connaître un maximum de choses sur la mode et les vêtements mais aussi sur vous-même. Si “qui vous êtes” est clair pour vous, vos vêtements vont transmettre un message clair et simple. Surtout, appropriez-vous d’un savoir-faire que personne n’a. Je pense qu’on va vers une mode qui valorise la manualité et l’artisanat, le fait de développer une technique personnelle va faire la différence ; tout le monde a des idées mais peu savent les réaliser.