"Ma marque se nomme JUGULAIRE. On retrouve un double sens dans ce mot. Il est d’un côté un peu hardcore, mais d’un autre je le trouve aussi très poétique. La jugulaire est une partie du corps très sensible située entre le coeur et l’esprit, où la circulation opère."
Je m’appelle Caroline, j’ai 35 ans. Je me suis reconvertie en tant que créatrice mode, car la création était un besoin. Je voulais travailler avec mes mains plutôt qu’être assise derrière un bureau. Avant ça, j’étais infographiste et j’ai également travaillé dans le service culturel de l’agglomération de Maubeuge. Je faisais pas mal de danse à l’époque, j’ai toujours côtoyé l’art et les artistes. Ça m’a inspiré et nourri pendant des années, jusqu’à ce que je me dirige vers la mode.
J’ai assez de mal à l’expliquer. Depuis l’adolescence, j’ai toujours eu une sensibilité pour le vêtement. Cela fait 10-15 ans que j’avais ce projet en tête, de créer et travailler dans la mode. Je savais que c’était un milieu assez difficile, qui n’a pas forcément une bonne image.
Mais finalement, je vois le vêtement comme un besoin primaire, qui relève des notions de pudeur, ce qui me parle énormément. Enfin, c’est un moyen de communiquer, de s’exprimer, qui est finalement un autre besoin primaire.
Je pense que la situation a réveillé ces besoins là, mais que le ressenti a toujours été présent. Étant jeune, j’ai pratiqué la danse durant 10 ans, et c’est un art qui s’exprime aussi avec son corps. Travailler de manière statique pendant des années a réveillé ces besoins, et cette éducation. J’avais ça dans les mains, j’ai du mal à expliquer ce sentiment. Finalement, la mode éveille tous les sens : le toucher du tissu, la vue etc.
Ma marque se nomme JUGULAIRE.
On retrouve un double sens dans ce mot. Il est d’un côté un peu hardcore, mais de l’autre je le trouve aussi très poétique. La jugulaire est une partie du corps très sensible située entre le coeur et l’esprit, où la circulation opère. L’autre symbolique par rapport à ce mot se trouve dans un verset du Coran qui m’a toujours marqué et fait vibrer, qui dit que Dieu est plus proche de toi que ta veine jugulaire.
Élévation – Il y a un côté très monacal dans ma marque et mes inspirations. On y voit une connexion entre la terre et une force absolue, dans cette idée de spiritualité qui diffère en fonction des individus.
Authenticité – Pour le choix des matières. J’aime travailler avec des matières naturelles comme le lin. C’est la fibre la moins polluante et qui laisse le moins de traces nocives pour la nature, je souhaite donc l’utiliser de plus en plus. Il s’agit de l’une des matières les plus éco-responsables, de plus qu’on retrouve dans nos régions.
Réconfort – Pour le volume des pièces. Je fais pas mal de travail de doublure et de superposition afin d’avoir des pièces généreuses et chaudes. L’idée est d’avoir sa maison sur soi, de porter son « chez-soi ».
En premier lieu, c’est la femme. Une femme est multi-facette. Ce mot « jugulaire » et son double sens viennent également de là. Une femme représente la douceur mais aussi ce côté parfois violent ou tranchant.
L’actualité m’inspire aussi, comme l’immigration dernièrement. C’est un thème qui a toujours existé, mais au moment où je réalisais ma collection, il y a eu un pic d’informations sur ce sujet dans les médias, ce qui m’a beaucoup stimulé. On retrouve cette référence dans ma collection, dans l’idée où l’on est tous apte à migrer, à bouger.
L’architecture, la peinture, et la nature principalement vont aussi m’inspirer visuellement. La gamme de couleurs de ma première collection a été inspirée de différents paysages, je me suis par exemple inspirée de la photo d’une ville en Italie.
Elle se nomme “ICI”, dans l’idée d’être partout et nul part à la fois, d’être là où tu te situes. Pour la gamme de couleurs, je me suis inspiré du “chemin” (Terre, sable, goudron), d’où les tons et les nuances de beige, crème, marron ou noir.
Enfin, dans cette idée de migration, j’ai aussi voulu jouer sur les matières. Par exemple, j’ai utilisé une couverture de survie. Lorsqu’une population termine un long voyage, c’est en général la première chose qu’on leur met sur le dos. C’est cela qui va donner ces détails dorés et argentés sur certaines pièces.
Mon plus grand modèle est Samuel Drira, qui a relancé la marque Nehera, et qui est également co-fondateur du magazine Encens.
Il travaille avec des pièces très claires, des nuances de blancs, des couleurs très naturelles, et des tons pastel. Ses pièces sont très linéaires, minimalistes, avec des volumes magnifiques. En ce qui concerne le magazine bi-annuel, je ne t’en parle même pas ! Il te suffit de le feuilleter pour comprendre ! (rires…).
Je suis actuellement en transition. Il y a cette première grosse collection, “ICI”, que je ne veux pas forcément commercialiser. Oui, il m’arrive donc de communiquer dessus, mais seulement pour l’image. Je suis encore en train de préparer la suite, donc pour le moment, ça reste calme.
La première collection, c’est aussi un peu le “crash-test” pour ma part. Tu as du mal à être pleinement heureuse de ta première collection. C’est aussi pour ça que j’ai du mal à la promouvoir. Quand je prends du recul, il y a plein de choses que j’aurais pu faire autrement, que j’aurais pu aussi mieux anticiper.
Oui, le long manteau en laine/cachemire, qui est la pièce qui m’a fait le plus galérer (rires…).
Elle possède une doublure, de la laine entre deux voiles de soie avec un effet matelassé. Tout a été fait à la main, avec notamment des piqûres aléatoires sur toute la surface de la pièce.
J’essaye de réduire au maximum le nombre de coutures. L’idée n’est pas de souligner les formes du corps, comme un bustier. Il y a moins de couture, mais autant de travail sur le patronage et la coupe des tissus.
Sur certaines de mes pièces, c’est de cette façon que j’incruste des poches qui sont comme dissimulées, parfois grâce au plissage par exemple.
Le futur de Jugulaire sera tout d’abord une nouvelle collection, plus “accessible”, financièrement mais aussi dans le style de manière générale. Une collection on pourrait dire plus légère, mais qui reste exactement dans le même univers que la première, quelque chose qui représente réellement Jugulaire.
Non, pour les raisons que je viens de te citer. Cependant, si on me le demande, je pourrais faire exception pour certaines pièces, comme par exemple le grand manteau, même si c’est ma favorite.
Je n’ai pas d’attache particulière à une pièce. Je sais que c’est la mienne, elle est en moi. Je m’en souviendrai tout le temps. Tant mieux, au contraire, si elle vit et circule ailleurs avec le temps.
Cela revient à cette idée de pièce unique qui existe toujours au fil des années. J’avais eu cette idée de coudre une grande étiquette à l’intérieur de la manche où j’aurais mis mon nom en premier lieu, et qu’ensuite toute personne possédant la pièce écrive son nom et son origine sur cette étiquette. Le but est que la pièce vive au fil du temps, avec le nom des personnes la possédant. En mettant en place cela, la pièce perdure, entre dans un système de recyclage, et transmet une réelle histoire.
Alors, pas vraiment. Unisexe, pourquoi pas, mais pas forcément homme. Après, les limitations sont floues entre les deux types de collection.
Mon inspiration principale étant la femme, je ne me vois pas faire que de l’homme uniquement.
Samuel Drira, évidemment. Il y a aussi Jan Jan Van Essche, un anversois dans le même esprit.
Reebok Freestyle, obligatoire. Jupe plissée, chemise blanche et la casquette. Il faut que ça soit oversize et un bon mix entre sport et élégance.
1920/30, durant la période forte de Chanel, où la marque a libéré les volumes et craqué les bustiers des femmes.
La mode c’est raconter une histoire, traduire des émotions, faire naître des sensations… Pour moi c’est créer des pièces qui ont du sens, et qui éveillent les sens, soit un art véritablement.
Une photographe, Cécile Bortoleti, qui travaille pour le magazine Encens.
Le profil d’une égérie évolue en même temps qu’évolue une marque, alors je trouve ça difficile de nommer une personne en particulier. Si je me prête au jeu, à cet instant, je penserais à une personnalité qui se rapproche de Zoë Kravitz, en toute simplicité !!! Je veux dire par là une beauté naturelle, un héritage multiculturel, une douceur mêlée à quelque chose de rock et tribal dans le sang…
L’associer à ma vision de la mode je ne sais pas, mais j’aime beaucoup Frida, de Julie Taymor. Non seulement parce que j’admire l’artiste peintre éprouvée et engagée qu’était Frida Kahlo, mais aussi l’incarnation par Salma Hayek dans ce décor coloré et végétal typiquement mexicain… C’est la force, la sensibilité, la dualité de Frida qui me touchent et que je trouve stimulant.
En Italie, dans la région des Puglia, d’où je suis originaire, il y a la ville de Polignano a Mare. C’est une cité très inspirante. Toutes ces nuances de blanc et beige perchées sur les falaises, les petits chemins où se cachent des messages inscrits sur les murs, la luminosité, la vie… je suis complètement amoureuse de cette ville !
Être conscient, un minimum, de l’impact honteux de l’industrie de la mode et de limiter les répercussions à son niveau.
Se planter aussi ! On a toujours peur de se planter, mais en tant que jeune créateur, c’est comme ça que l’on apprend !