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Après avoir rencontré différents designers, je remarque que l’enseignement supérieur des écoles de mode fait face à une difficulté de taille : trouver le bon équilibre entre enseignement théorique et pratique. Le défi est d’allier savoir et action. Les formations artistiques sont de plus en plus convoitées. Les concours d’entrée connaissent de plus en plus d’affluence. Pour enseigner quelque chose, il faut établir ce qui est juste, et ce qui ne l’est pas. Peut-on objectivement établir qu’une œuvre est bonne ou mauvaise ?
Certains considèrent que l’enseignement de l’art peut être comparé à l’enseignement des langues. Quand une personne apprend une langue, elle apprend les mots et expressions qui lui serviront à transmettre un message. L’apprentissage ne lui enseigne pas le message, mais plutôt comment communiquer afin de se faire entendre par les autres. Une fois les bases de la langue apprises, cette personne peut s’en servir de manière totalement libre afin de transmettre le message qu’elle tient à faire passer. Il en est de même pour l’expression de l’art.
En France, l’industrie de la mode aura tendance à se montrer plus réceptive devant un designer diplômé d’une université ou d’une école, que face à un autodidacte. Le diplôme ne prouve en aucun cas que l’individu est talentueux, mais il prouve cependant qu’il est capable d’apprendre. L’apprentissage est-il suffisant pour former un réel talent ? Ce questionnement est valable dans tous les métiers, mais la question est d’autant plus complexe dans ce domaine si subjectif et sensible qu’est l’art.
“Je ne puis pas enseigner mon art, ni l’art d’une école quelconque, puisque je nie l’enseignement de l’art, ou que je prétends, en d’autres termes, que l’art est tout individuel, et n’est pour chaque artiste, que le talent résultant de sa propre inspiration et de ses propres études sur la tradition.”
Gustave Courbet dans Le Courrier du Dimanche.
L’industrie de la mode a ses propres codes. Elle nécessite des compétences techniques sur les opérations commerciales, logistiques, marketing, indispensables dans le contexte professionnel actuel. Le secteur évolue, et ses acteurs doivent avoir une connaissance approfondie de tous les enjeux liés à l’industrie.
Le nouveau designer a beaucoup plus tendance à créer pour défendre une cause. Cela s’est ressenti durant mes différentes interviews : une créatrice prévoit de créer un collectif visant à rassembler les inspirations et la curiosité artistique de Paris et sa banlieue, afin de casser cette barrière entre le centre et les départements limitrophes. Une autre proteste contre les violences policières visant la population noire aux Etats-Unis dans sa récente collection. L’art est une histoire de foi, mais aussi de communication. Les écoles l’ont compris, et un bon nombre favorise la création de projets engagés afin de sensibiliser leurs élèves et faire d’eux des acteurs crédibles dans ce monde qui évolue.
L’art n’est peut-être pas enseignable, mais l’école favorise la sensibilité artistique et créative autour de la technique, le sens des affaires et l’éthique.
C’est sur cette philosophie de l’art non enseignable et éthique qu’a été créée Bauhaus. [Bau = Building | Haus = House]. L’une des missions de cette école expérimentale allemande était de former des artistes capables de contribuer à un monde meilleur. Parmi les figures emblématiques de cette école, Paul Klee, Marianne Brandt, Wassily Kandinsky, Piet Mondrian…
“Des architectes, sculpteurs, peintres; nous devons tous revenir au travail manuel, parce qu’iI n’y a pas « d’art professionnel ». Il n’existe aucune différence, quant à l’essence, entre l’artiste et l’artisan. L’artiste n’est qu’un artisan inspiré. C’est la grâce du ciel qui fait, dans rares instants de lumière et par delà sa volonté, l’œuvre de ses mains devenir inconsciemment art, mais, la base du savoir faire est indispensable à tout artiste. C’est la source de l’inspiration créatrice.”
Walter Gropius, son fondateur, défend un “art total” dans son manifeste du Bauhaus de 1919.
C’est justement à travers la mise en valeur de l’artisanat, et cette philosophie d’art total, que le Bauhaus suscite autant d’intérêt chez les designers de mode encore aujourd’hui : architecture, graphisme, théâtre, photographie, sculpture, danse, peinture, costume… L’inspiration artistique est partout, et peut être provoquée par tous. Issey Miyake, Comme des Garçons, Calvin Klein, Alexander Wang, Chanel, Louis Vuitton, Fendi… De nombreux acteurs de la mode se sont inspirés du mouvement Bauhaus pour créer des collections aux lignes épurées et aux découpes géométriques.
Je vous invite à découvrir ce documentaire très complet pour mieux comprendre ce qu’est le mouvement Bauhaus :
Et nous pouvons remercier La Bibliothèque Kandinsky de nous offrir un accès aux pensées et ouvrages des figures du Bauhaus, en format numérique et gratuit :
Aujourd’hui, nous laissons moins place à l’expérimentation, et nous nous orientons plus vers l’apprentissage de choses concrètes. Nous évaluons des choses que nous pouvons contrôler. Les recherches menées au cours du « Project Zero » d’Harvard estiment que ce que l’éducation artistique puisse faire de mieux est de « développer la capacité à penser de façon créative ». L’éducation de l’art devrait alors se focaliser sur le développement des élèves qui pensent comme des artistes, des élèves créatifs qui s’interrogent et apportent de nouvelles idées. Tout individu peut apprendre à dessiner, peindre, jouer de la musique… La différence se jouera sur les compétences qui pourront être développés au-delà de la pratique.
Cette différence vous appartient, et se manifeste à travers votre créativité, votre sensibilité, et votre message.
Rédigé par Nicolas Touré
Co-fondateur de Osme
