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Jugulaire

Histoire de la marque

Il m’a toujours interpellé cet instant où une personne tente de deviner le(s) pays d’origine d’une autre lors de leur rencontre.

À force d’en avoir fait l’expérience, c’est un peu comme si je me sentais provenir de tous horizons, comme si les terres de mes ancêtres étaient devenues immenses.

Et pourtant, notre époque nous rappelle chaque jour à quel point les frontières sont marquées,
à quel point certains souffrent et risquent leur vie parfois à vouloir les traverser,
et à quel point nous ne sommes pas tous nés sous la même étoile, pas tous soumis aux mêmes expériences.

Jugulaire évoque la circulation, la fragilité, la réalité, une réalité qui fait réagir et peut donner envie de s’égosiller, mais qu’on préférera simplement évoquer, laisser transpirer subtilement, en gardant à l’esprit l’utopie d’un nomadisme libre entre le souvenir d’une provenance et le rêve d’une destination. Mon travail est un hommage aux populations sur les routes, physiquement ou spirituellement itinérantes.

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Caroline Tulout
Maubeuge | Jugulaire

"Ma marque se nomme JUGULAIRE. On retrouve un double sens dans ce mot. Il est d’un côté un peu hardcore, mais d’un autre je le trouve aussi très poétique. La jugulaire est une partie du corps très sensible située entre le coeur et l’esprit, où la circulation opère."

Peux-tu te présenter rapidement ?

Je m’appelle Caroline, j’ai 35 ans. Je me suis reconvertie en tant que créatrice mode, car la création était un besoin. Je voulais travailler avec mes mains plutôt qu’être assise derrière un bureau. Avant ça, j’étais infographiste et j’ai également travaillé dans le service culturel de l’agglomération de Maubeuge. Je faisais pas mal de danse à l’époque, j’ai toujours côtoyé l’art et les artistes. Ça m’a inspiré et nourri pendant des années, jusqu’à ce que je me dirige vers la mode.

Comment en es-tu arrivé à t’intéresser à la mode ?​

J’ai assez de mal à l’expliquer. Depuis l’adolescence, j’ai toujours eu une sensibilité pour le vêtement. Cela fait 10-15 ans que j’avais ce projet en tête, de créer et travailler dans la mode. Je savais que c’était un milieu assez difficile, qui n’a pas forcément une bonne image. 

Mais finalement, je vois le vêtement comme un besoin primaire, qui relève des notions de pudeur, ce qui me parle énormément. Enfin, c’est un moyen de communiquer, de s’exprimer, qui est finalement un autre besoin primaire.

Tu expliquais avoir ce besoin d’utiliser tes mains, de créer.
Ce besoin, tu l’as ressenti depuis le début ou après plusieurs années derrière ton ordi, comme tu le disais ?

Je pense que la situation a réveillé ces besoins là, mais que le ressenti a toujours été présent. Étant jeune, j’ai pratiqué la danse durant 10 ans, et c’est un art qui s’exprime aussi avec son corps. Travailler de manière statique pendant des années a réveillé ces besoins, et cette éducation. J’avais ça dans les mains, j’ai du mal à expliquer ce sentiment. Finalement, la mode éveille tous les sens : le toucher du tissu, la vue etc.

Quel est le nom de ta marque ?

Ma marque se nomme JUGULAIRE.

On retrouve un double sens dans ce mot. Il est d’un côté un peu hardcore, mais de l’autre je le trouve aussi très poétique. La jugulaire est une partie du corps très sensible située entre le coeur et l’esprit, où la circulation opère. L’autre symbolique par rapport à ce mot se trouve dans un verset du Coran qui m’a toujours marqué et fait vibrer, qui dit que Dieu est plus proche de toi que ta veine jugulaire.

Trois mots pour la qualifier ?

Élévation – Il y a un côté très monacal dans ma marque et mes inspirations. On y voit une connexion entre la terre et une force absolue, dans cette idée de spiritualité qui diffère en fonction des individus. 

Authenticité – Pour le choix des matières. J’aime travailler avec des matières naturelles comme le lin. C’est la fibre la moins polluante et qui laisse le moins de traces nocives pour la nature, je souhaite donc l’utiliser de plus en plus. Il s’agit de l’une des matières les plus éco-responsables, de plus qu’on retrouve dans nos régions.

Réconfort – Pour le volume des pièces. Je fais pas mal de travail de doublure et de superposition afin d’avoir des pièces généreuses et chaudes. L’idée est d’avoir sa maison sur soi, de porter son « chez-soi ».

D’où viennent tes inspirations pour tes créations ?

En premier lieu, c’est la femme. Une femme est multi-facette. Ce mot « jugulaire » et son double sens viennent également de là. Une femme représente la douceur mais aussi ce côté parfois violent ou tranchant.

L’actualité m’inspire aussi, comme l’immigration dernièrement. C’est un thème qui a toujours existé, mais au moment où je réalisais ma collection, il y a eu un pic d’informations sur ce sujet dans les médias, ce qui m’a beaucoup stimulé. On retrouve cette référence dans ma collection, dans l’idée où l’on est tous apte à migrer, à bouger. 

L’architecture, la peinture, et la nature principalement vont aussi m’inspirer visuellement. La gamme de couleurs de ma première collection a été inspirée de différents paysages, je me suis par exemple inspirée de la photo d’une ville en Italie.

Peux-tu nous dire un petit mot sur ta dernière collection ?

Elle se nomme “ICI”, dans l’idée d’être partout et nul part à la fois, d’être là où tu te situes. Pour la gamme de couleurs, je me suis inspiré du “chemin” (Terre, sable, goudron), d’où les tons et les nuances de beige, crème, marron ou noir.

Enfin, dans cette idée de migration, j’ai aussi voulu jouer sur les matières. Par exemple, j’ai utilisé une couverture de survie. Lorsqu’une population termine un long voyage, c’est en général la première chose qu’on leur met sur le dos. C’est cela qui va donner ces détails dorés et argentés sur certaines pièces.

As-tu un modèle ? Une personne qui serait une source d'inspiration ?

Mon plus grand modèle est Samuel Drira, qui a relancé la marque Nehera, et qui est également co-fondateur du magazine Encens.
Il travaille avec des pièces très claires, des nuances de blancs, des couleurs très naturelles, et des tons pastel. Ses pièces sont très linéaires, minimalistes, avec des volumes magnifiques. En ce qui concerne le magazine bi-annuel, je ne t’en parle même pas ! Il te suffit de le feuilleter pour comprendre ! (rires…).

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Samuel Drira, fondateur de la marque Nehera et du magazine Encens

Que fais-tu aujourd’hui pour te faire connaître ? Comment communiques-tu ?

Je suis actuellement en transition. Il y a cette première grosse collection, “ICI”, que je ne veux pas forcément commercialiser. Oui, il m’arrive donc de communiquer dessus, mais seulement pour l’image. Je suis encore en train de préparer la suite, donc pour le moment, ça reste calme.

La première collection, c’est aussi un peu le “crash-test” pour ma part. Tu as du mal à être pleinement heureuse de ta première collection. C’est aussi pour ça que j’ai du mal à la promouvoir. Quand je prends du recul, il y a plein de choses que j’aurais pu faire autrement, que j’aurais pu aussi mieux anticiper.

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As-tu une pièce favorite dans ta dernière collection ?

Oui, le long manteau en laine/cachemire, qui est la pièce qui m’a fait le plus galérer (rires…). 

Elle possède une doublure, de la laine entre deux voiles de soie avec un effet matelassé. Tout a été fait à la main, avec notamment des piqûres aléatoires sur toute la surface de la pièce.

As-tu une signature dans tes créations ?

J’essaye de réduire au maximum le nombre de coutures. L’idée n’est pas de souligner les formes du corps, comme un bustier. Il y a moins de couture, mais autant de travail sur le patronage et la coupe des tissus.

Sur certaines de mes pièces, c’est de cette façon que j’incruste des poches qui sont comme dissimulées, parfois grâce au plissage par exemple.

Quels sont tes futurs projets ?

Le futur de Jugulaire sera tout d’abord une nouvelle collection, plus “accessible”, financièrement mais aussi dans le style de manière générale. Une collection on pourrait dire plus légère, mais qui reste exactement dans le même univers que la première, quelque chose qui représente réellement Jugulaire.

Peut-on d’ores et déjà acheter tes pièces ?

Non, pour les raisons que je viens de te citer. Cependant, si on me le demande, je pourrais faire exception pour certaines pièces, comme par exemple le grand manteau, même si c’est ma favorite.

Pas de valeur sentimentale et cette volonté de garder sa première pièce ?

Je n’ai pas d’attache particulière à une pièce. Je sais que c’est la mienne, elle est en moi. Je m’en souviendrai tout le temps. Tant mieux, au contraire, si elle vit et circule ailleurs avec le temps.

Tu n’es pas la première créatrice qui me partage cette idée de voyage et d’appartenance de la pièce, d’où vient cette idée ?

Cela revient à cette idée de pièce unique qui existe toujours au fil des années. J’avais eu cette idée de coudre une grande étiquette à l’intérieur de la manche où j’aurais mis mon nom en premier lieu, et qu’ensuite toute personne possédant la pièce écrive son nom et son origine sur cette étiquette. Le but est que la pièce vive au fil du temps, avec le nom des personnes la possédant. En mettant en place cela, la pièce perdure, entre dans un système de recyclage, et transmet une réelle histoire.

"ICI" est une collection Femme, te verrais-tu lancer une collection Homme ?

Alors, pas vraiment. Unisexe, pourquoi pas, mais pas forcément homme. Après, les limitations sont floues entre les deux types de collection.
Mon inspiration principale étant la femme, je ne me vois pas faire que de l’homme uniquement.

model @elisaplancon
model @mowjojojow
model @annikathorelli
model @jadedumortier

Quels sont tes designers préférés ?

Samuel Drira, évidemment. Il y a aussi Jan Jan Van Essche, un anversois dans le même esprit.

Artboard
Jan Jan Van Essche | 2018/2019

Quelle est ta tenue fétiche ?

Reebok Freestyle, obligatoire. Jupe plissée, chemise blanche et la casquette. Il faut que ça soit oversize et un bon mix entre sport et élégance.

Si tu étais une période de l'histoire d'un point de vue mode ?

1920/30, durant la période forte de Chanel, où la marque a libéré les volumes et craqué les bustiers des femmes.

D’après toi, la mode est-elle un art ?

La mode c’est raconter une histoire, traduire des émotions, faire naître des sensations… Pour moi c’est créer des pièces qui ont du sens, et qui éveillent les sens, soit un art véritablement.

Quelle serait la collaboration de tes rêves ?

Une photographe, Cécile Bortoleti, qui travaille pour le magazine Encens.

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Cécile Bortoleti, pour Encens.

Une égérie pour représenter ta marque ?

Le profil d’une égérie évolue en même temps qu’évolue une marque, alors je trouve ça difficile de nommer une personne en particulier. Si je me prête au jeu, à cet instant, je penserais à une personnalité qui se rapproche de Zoë Kravitz, en toute simplicité !!! Je veux dire par là une beauté naturelle, un héritage multiculturel, une douceur mêlée à quelque chose de rock et tribal dans le sang…

Quel film pourrais-tu associer à ta vision de la mode ?

L’associer à ma vision de la mode je ne sais pas, mais j’aime beaucoup Frida, de Julie Taymor. Non seulement parce que j’admire l’artiste peintre éprouvée et engagée qu’était Frida Kahlo, mais aussi l’incarnation par Salma Hayek dans ce décor coloré et végétal typiquement mexicain… C’est la force, la sensibilité, la dualité de Frida qui me touchent et que je trouve stimulant.

Si tu étais un lieu ?

En Italie, dans la région des Puglia, d’où je suis originaire, il y a la ville de Polignano a Mare. C’est une cité très inspirante. Toutes ces nuances de blanc et beige perchées sur les falaises, les petits chemins où se cachent des messages inscrits sur les murs, la luminosité, la vie… je suis complètement amoureuse de cette ville !

Des conseils à donner aux jeunes créateurs qui souhaitent lancer leur marque ?

Être conscient, un minimum, de l’impact honteux de l’industrie de la mode et de limiter les répercussions à son niveau.
Se planter aussi ! On a toujours peur de se planter, mais en tant que jeune créateur, c’est comme ça que l’on apprend !

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