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LENGLET

Histoire de la marque

Lenglet est une marque qui se base principalement sur mon histoire personnelle, "la carapace" est le thème que j’ai voulu développer dans mes collections. Elle représente le fait de se cacher sous de gros vêtements amples pour s'uniformiser au reste du monde, combattre le harcèlement, plus particulièrement scolaire, et devenir comme un trompe-l’œil face à la réalité. Mais sous celle-ci, se cache une force insoupçonnable qui veut se dévoiler coûte que coûte et combattre les jugements et les conventions dictées.

Tout cela se traduit par des codes culturels ou historiques, comme pour ma première collection la Matelote, où je revisite les codes d’une tenue traditionnelle du nord de la France : coiffe, bijoux, vêtements. Une retraduction totale dans la forme et l’histoire. Pour traduire cette problématique en un concept artistique, j’ai fondé mon travail sur des volumes oversize mêlés avec des matières fluides et légères ainsi que du retravail matière imposant et expressif avec le cuir, mis en opposition avec un plissé lisse et féminin.

Lenglet possède des allures éclectiques fortes en symboles où les codes vestimentaires lient le moderne et l’ancien.

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Céléna Delval
Paris | Lenglet

"Lorsque les gens portent mes vêtements, l’idée est qu'ils transmettent un message, qu'ils s’expriment. Je ne développe pas une marque pour que ce soit vendeur et stylé, je veux qu’artistiquement il y ait un travail derrière, d’où l’importance du message à retransmettre."

Peux-tu te présenter rapidement ?

Je m’appelle Céléna Delval, plus connue sous le nom de Celena Lenglet, car j’utilise le nom de ma mère en tant que créatrice. Mes créations sont souvent liées à ma famille, et comme je porte au quotidien le nom de mon père, j’ai fait ce choix. Je suis diplômée Esmod, et j’ai eu la chance de gagner les prix La Redoute et Maisons de Mode. Je travaille actuellement pour Yves Saint Laurent en tant que développeur sur la collection principale de la bijouterie. Cela fait maintenant 2 ans que j’ai lancé ma marque, Lenglet.

Comment en es-tu arrivée à t’intéresser à la mode ?

Tout bêtement. Plus jeune, j’étais très mince et critiquée par rapport à mon poids et mon style. Pour m’effacer, je m’habillais comme tout le monde, avec des vêtements classiques et noirs. J’en ai eu marre, et j’ai décidé de m’exprimer en ayant un style différent. Je suis ensuite partie en école d’arts et je me suis affirmée. Créer mes propres pièces c’est la meilleure façon de communiquer sur ce que j’ai vécu. À travers mes collections, je transmets des messages sur mon passé, sur ma famille, sur les conventions et les pressions sociales… mais ce n’est pas pour autant que je porte ce que je crée. Je m’habille toujours en noir et je porte généralement des tailles plus grandes. J’ai toujours ce petit décalage, mais comme je suis réconciliée avec moi-même, je n’hésite pas à en parler. 

D’où viennent tes inspirations pour tes créations ?

Je suis du genre éclectique, et j’adore aller chercher mes inspirations entre le passé et le présent. Je vais parfois sélectionner un style ou une histoire du passé, que je lierai avec le présent et ses nouvelles technologies. Mes inspirations peuvent être personnelles et liées à mon vécu, mais elles peuvent aussi être générales et exprimer un fait de société par exemple.

Ta famille t’inspire ? 

Oui, pour plusieurs raisons. Premièrement, je suis issue d’une famille de pêcheurs, et j’aime beaucoup les histoires de mes grands-parents par rapport à ce sujet. Ensuite, mon père était rarement là durant mon enfance car il travaillait en Afrique, mais ce qu’il a vu là-bas et les histoires qu’il me raconte m’inspirent aussi. Le fait d’avoir principalement grandi avec ma mère et ma grand-mère m’a inculqué cette notion de « girl power », notamment à travers les liens forts que l’on a tissé entre femmes. Je suis très indépendante, et je suis partie de chez moi dès l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, je n’arrive pas à accepter que quelqu’un entre dans ma vie et prenne une décision à ma place. J’exprime toutes ces histoires et ce vécu à travers mes créations.

En dehors de ta famille, as-tu d'autres grands modèles et inspirations ?

Iris Van Herpen. C’est une styliste qui a, dès ses 20 ans, fait son premier stage chez Alexander McQueen. Quand j’ai vu son exposition, elle m’a réconcilié avec la mode, et je n’aurais peut-être pas évolué dans ce milieu sans elle. Au départ, je trouvais ses tenues importables, mais je voyais en elle un génie car elle produisait ce que j’appelle purement de l’art. Elle s’est démarquée avec son propre univers, a créé son propre label haute couture, et associe l’art et la mode d’une manière qui me touche.

Quel est le nom de ta marque ?

Lenglet, c’est le nom de famille de ma mère, ma grand-mère, mais aussi celui de mon grand-père que je n’ai jamais connu et qui a travaillé dans la marine. Ce nom est un symbole de force, et j’aime cette confusion que peuvent provoquer les homonymes “lenglet” et “l’anglais”.

Trois mots pour la qualifier ?

Éclectique, paradoxale, et mystique. La notion d’éclectisme et l’idée de passé/présent/futur représentent la base de ma marque et de mes inspirations. Je ne me renferme pas sur une idée, une époque, un procédé. L’aspect paradoxal se retrouve dans le choix des thèmes et des matières. J’adore associer des choses qui ne semblent pas s’accorder. Les gens qui ne me connaissent pas vraiment trouvent que je suis une personne froide, ce qui n’est pas le cas. Je peux le paraître, mais uniquement pour me protéger et ne pas me faire avoir par les autres. C’est un peu ce que je veux retranscrire dans mes créations. Mes pièces sont froides visuellement, mais elles expriment juste une sorte de fragilité cachée.

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Le côté mystique se transmet à travers les messages cachés derrière les symboles revisités de mes collections. Par exemple, dans ma collection principale « La Matelote », je représente ma famille, et plus particulièrement mon arrière-grand-mère. Sur les photos d’archives issues de cette collection, les femmes ont un air très prétentieux, sont habillées en noir, ont le visage fermé, et des bijoux en or. Elles dévoilent un côté très fier, alors qu’elles sont seules, doivent assumer l’éducation de leurs enfants en attendant leur mari. Elles cachent leur fragilité derrière une carapace. Ce qu’elles dégagent ne représentent pas réellement ce qu’elles sont.

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Quelle est ta pièce favorite dans tes collections ?

C’est difficile à dire car j’adore toutes mes pièces, ce sont mes bébés. Si je devais choisir, je dirais les coiffes car ce sont elles qui symbolisent ma collection. C’est un élément en plus dans la tenue qui a un fort impact visuel, notamment lors des défilés. La matelette est une femme de pêcheur qui portait ce chapeau blanc en dentelle. Je me suis toujours interdit deux choses par rapport à mes créations : le blanc et la dentelle. J’ai donc repris la forme de ce chapeau traditionnel (appelé « le soleil »), et je l’ai développé en noir et en cuir. 

En 1880, cette coiffe était toute petite, puis elle a évolué au fil des années. Selon moi, elle représente une auréole, le milieu des marins pécheurs étant très religieux. Je veux écarter ce côté religieux car mon but n’est surtout pas d’intégrer cet univers au sein de la création mode, mais justement de conserver cette idée d’éclectisme.

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"Le soleil", chapeau traditionnel revisité par Céléna pour "La Matelote".

Quelle est ta signature ?

Le cuir embossé, que l’on retrouve dans toutes mes collections et quasiment une fois dans chaque tenue. L’aspect de mon embossage avec ses multiples petites sphères représente l’aspect de la bague boulonnaise. Cette bague provient d’une tradition boulonnaise dans laquelle on offre aux femmes une bague à 9 boules représentant les 9 mois de la grossesse. À l’époque, les marins pêcheurs faisaient fondre les bijoux de famille pour créer une bague afin de l’offrir à leur fiancée. Dans ma famille, on nous offre cette bague à nos 18 ans, c’est très personnel et symbolique. J’utilise cette signature depuis ma collection de deuxième année, que j’ai appelée « Carapace ». Cette collection évoque principalement le harcèlement scolaire, d’où la notion de carapace que l’on crée pour se protéger. Sur cette pièce au tissu très léger par exemple, j’ai intégré une grosse carapace pour lui donner un sentiment de force, de coquille qui te protège.

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Le cuir embossé, signature de Céléna.
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Le cuir embossé, signature de Céléna.

Que veux-tu que les gens ressentent en portant tes vêtements ?

Lorsque les gens portent mes vêtements, l’idée est qu’ils transmettent un message, qu’ils s’expriment. Je ne développe pas une marque pour que ce soit vendeur et stylé, je veux qu’artistiquement il y ait un travail derrière, d’où l’importance du message à retransmettre.

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Quels sont tes futurs projets ?

Shooter la dernière collection de Lenglet : “L’origine”. Ce sont les pièces que je n’ai pas pu faire pour ma collection « La Matelote » et qui me représentent personnellement. Elle est constituée de pièces avec moins de signification, des idées que j’ai imaginé durant mes études, sans filtre.

J’ai également deux projets qui, je pense, ne sortiront jamais. Ces projets sont complétement décalés par rapport à ce que je fais avec « Lenglet ». La vision serait la même, toujours avec ce côté dark, mais paradoxalement il y aurait de la couleur. J’ai par exemple en tête cette vision de mon arrière-grand-mère avec ses grosses boucles d’oreilles, ses strass… le problème c’est que je ne peux pas développer des pièces en noir et blanc pour ce genre d’inspiration, mais le faire en couleur ne représente pas du tout mon univers.

Comment communiques-tu ?

J’utilise principalement Instagram, et je suis également apparue dans la presse (La Voix du Nord, La Semaine dans le Boulonnais, Tendances, l’Echo etc.). J’ai gagné des prix : à deux reprises le prix La Redoute (2ème et 3ème année Esmod), Les Talents Boulonnais, Maison de Mode. Je suis aussi passée à la télévision, sur France 3 et sur la TV allemande. Enfin, j’ai représenté le Nord de la France lors du concours Moda Portugal, réunissant les jeunes créateurs européens. 

Peut-on d’ores et déjà acheter tes pièces ?

Oui et non. Je ne veux pas séparer les pièces, du coup il faut acheter la tenue complète pour pouvoir s’offrir mes créations. La collection « La Matelote » est à vendre en look total.

Te verrais-tu lancer une collection Homme ?

Actuellement, je ne fais que du prêt-à-porter Femme, mais je me verrais bien lancer une collection Homme. À vrai dire, j’ai déjà même en tête de développer une version homme de « La Matelote ».

Qui sont tes designers préférés ?

Côté mode, je dirais Iris Van Herpen. Ensuite, pour l’aspect tradition revisitée, Jacquemus me parle totalement. Il revisite le Sud, je revisite le Nord. Ce qu’il fait n’est pas du tout mon style, mais sa vision des choses et le lien fort qu’il a avec sa famille me plaisent beaucoup. Parfois, l’histoire derrière la collection me plait plus que la collection en elle-même. Hors mode, les deux architectes Zaha Hadid et Frank Gehry, et le designer produit Marcel Wanders m’ont fortement inspiré jusqu’ici.

Jacquemus
Simon Porte Jacquemus

Quelle serait la collaboration de tes rêves ?

Je n’y ai jamais pensé. Pourquoi pas un jeune créateur, une personne de mon école. Je pense à Billy Kazdar qui a également fait ESMOD, ou Maylis Fauchart qui a un style totalement différent du mien et que j’adore ! Avec Maylis on pourrait faire une collab complètement décalée. Elle peut te créer une pièce avec des messages très psychés en strass, des percings, des grosses boucles d’oreilles étranges… c’est une collab comme ça que je veux, qui contrasterait avec le côté hyper sérieux derrière mes créations.

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Billy Kazdar, interviewé par Osme pour sa marque "LÉEAU"

La création mode est-elle un art ? 

Carrément. La mode te fait faire passer un message, une idée, et un style différent. La mode, c’est montrer aux gens des choses qu’ils n’ont pas l’habitude de voir.

Y’a-t-il un aspect de la mode que tu n’apprécies pas ?

Ce qui me dérange le plus, c’est l’influence marketing que l’on retrouve majoritairement sur Instagram. Certaines personnes n’y connaissent rien et vont influencer un public très jeune qui se cherche encore et qui va se définir par rapport à eux. C’est malsain, et de ce point de vue là, l’influence est très mauvaise.

Des conseils à donner aux jeunes créateurs qui souhaitent lancer leur marque ?

Oui et non car mes conseils ne sont peut-être pas très bons (rires). Faites ce que vous aimez, mais calculez quand même les enjeux pour avancer.

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Photographe : Gaetan Caputo (shooting intérieur), Sofiane El Achari (shooting extérieur) | Vidéaste : George Lebon | Mannequin : Luisa Rodrigo Sanz