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Nicolas Cifelli
Lille | MAFIA

"Ma collection s’inspire de mes origines italiennes mais reprend aussi des codes du vestiaire workwear, et de l’univers ouvrier. Je suis issu d’une famille modeste, mais on m’a donné énormément d’amour et je transmets ces valeurs à travers MAFIA."

Peux-tu te présenter rapidement ?

Je m’appelle Nicolas Cifelli, j’ai 22 ans, je suis originaire de Roubaix et issu d’une famille italo-algérienne. Mes grands-parents paternels sont nés dans la ville de Lecce, dans le Sud de l’Italie, et ont migré dans les années 60 dans le Nord de la France pour devenir ouvrier. La première fois que j’ai annoncé à mes parents que je voulais faire de la mode, j’étais tout petit. Dès mes dix ans, je voulais faire ESMOD Roubaix, et douze ans plus tard, j’en sors diplômé. J’ai commencé mes études artistiques à l’Institut Saint-Luc de Tournai (Belgique) en 2013, et trois années plus tard, j’ai intégré ESMOD. Aujourd’hui, je suis styliste infographiste chez Jules, et je m’occupe des collaborations, des collections capsules, et des licences.

Comment en es-tu arrivé à t’intéresser à la mode ?

Franchement, je n’en ai aucune idée. Dans ma famille, on dit que c’est dans le sang. Ma grand-mère paternel et ses soeurs ont fait des études de modélisme en Italie. Lorsqu’elle est arrivée à Roubaix, elle vivait derrière le Colisée, la salle de théâtre de la ville, et retouchait les costumes des artistes. Ma mère travaillait chez 3 Suisses, et me parlait très souvent de mode étant petit. Au-delà de la mode, j’ai toujours été un gosse un peu à part, avec un côté très créatif. 

Quel est le nom de ta marque ?

MAFIA. Premièrement, cela fait évidemment référence à mes origines italiennes. En dehors de cela, la mafia représente pour moi un contraste entre d’un côté, la connotation romantique, chaleureuse et familiale, et de l’autre, cet aspect très sombre et brutal qui atteint son paroxysme. Je me retrouve dans ce paradoxe. Je voulais également un nom percutant, qui “tape du poing sur la table”.

Trois mots pour la qualifier ?

Explosive, Camp, et ProfondeExplosive car dans ma façon de créer, il y a quelque chose de très cathartique. Je suis dans l’artisanat, la création à la main, et c’est une façon de faire exploser ce qui est en moi. J’ai besoin de libérer ce volume créatif, de le faire exploser et de l’exposer aux autres. 
Camp, par définition, c’est lorsque l’on n’a pas peur d’être “too much”. Pour vous donner un exemple, Elton John est une icône du “camp”. 
Enfin, ma marque est profonde car il y a un message derrière mes créations, ce n’est pas juste de l’esthétique.

D’où viennent tes inspirations pour tes créations ?

Il n’y a pas de limite à l’inspiration. Que ce soit l’art, le cinéma, la musique, les clips, je m’inspire de tout. Je me suis par exemple inspiré d’une persienne de magasin pour designer un pull, donc je ne me limite pas. Au niveau des créateurs, je dirais que mes grosses inspirations sont Maison Margiela, Walter Van Beirendonck, Raf Simons. Sinon, j’adore aussi Nick Cave, un plasticien américain qui avait exposé à Lille 3000, et le peintre néerlandais Jérôme Bosch.

Le Jardin des délices
Le Jardin des délices, de Jérôme Bosch (1494-1505)

Qui sont tes plus grands modèles ?

Des gens qui me stimulent, il y en a, mais je n’ai pas vraiment de modèles car je veux faire mon chemin à ma manière. Personne n’accorde toutes mes valeurs, mes envies, et ne partage un pendant créatif similaire au mien. 

Que veux-tu que les gens ressentent en portant tes vêtements ?

Je veux qu’ils ressentent de la fierté. Je ne parle pas de fierté nocive, mais je veux qu’ils soient fiers d’être eux-même, et de briller. 

Mon but est qu’ils soient rayonnants, qu’ils s’éclatent.

Quelle est ta signature ?

Je suis plasticien, et je ne travaille pas avec des matières nobles. Je reprends des matériaux récupérés dans des dépôts et je leur donne une vraie valeur. Je viens de rien, et j’aspire à arriver quelque part. Utiliser une matière peu noble et la transformer est une façon de la réenchanter. Sinon, en termes de création, j’ajoute souvent des contrecollés de matières de récupération au niveau des doublures, et il n’y a aucun imprimé dans ma collection, sauf sur les étiquettes. 

Quelle est ta pièce favorite de ta collection ?

J’ai du mal à répondre à cette question, c’est horrible (rires). Elles sont toutes différentes. Il y a une veste qui n’est pas ma préférée, mais qui est la pièce sur laquelle j’ai le plus travaillé. C’est une veste courte, avec un énorme visage en motifs. Ce visage, c’est celui de ma grand-mère, qui représente tout à fait “la mamma”.

Pour la petite histoire, ma collection s’inspire de mes origines italiennes mais reprend aussi des codes du vestiaire workwear, et de l’univers ouvrier. Les visages que l’on voit sur cette veste sont le résultat d’un portrait effectué par un artiste de la région pour mes grands-parents, c’est mon héritage familial. J’ai retravaillé les portraits en les vectorisant, et j’ai découpé à la main des aplats de sacs en plastique recyclés pour créer ces motifs. J’ai contrecollé une couverture de survie, et j’ai poncé cette pièce durant quatre jours.

Ta famille est le principal ADN de ta marque ?

J’ai grandi dans une famille hyper soudée. J’ai eu une enfance géniale, et je remercierai toujours mes parents pour ça. Je suis issu d’une famille modeste, mais on m’a donné énormément d’amour et je transmets ces valeurs à travers MAFIA. Je voulais vraiment partager ce qui avait au fond de moi, avant de partager autre chose. En créant cette collection, je me suis imaginé comme un enfant qui dessinait ses amis imaginaires à travers ses sentiments, ses émotions.

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Visage de la grand-mère de Nicolas, représentée sur une veste courte.

Quelles sont les étapes essentielles lorsque tu te lances dans un projet ?

Généralement, je me mets une cuite (rires). J’ai besoin de lâcher prise, de faire la fête, ou de m’aérer en voyageant un peu, à Bruxelles, Anvers, Paris… J’ai toujours une idée de base, un mot qui donnera le ton au thème principal de mes créations. Pour ma dernière collection, le mot en question était “valeur”. Pour la prochaine, le thème portera autour du mot “désir”. Lorsque j’emploie ce terme, j’évoque plutôt le désir générique, l’envie, le côté charnel.

Je mets ensuite les idées à plat, et je rentre dans une phase de workshop. Je fais appel à mes compétences de plasticien pour définir de nouveaux matériaux et en créer d’autres. Viennent ensuite les collages, les dessins, les formes et volumes etc. Je fais quelques recherches sur internet, je vais observer des défilés, et j’entre enfin dans la phase de modélisme et de conception du produit. Pour ma prochaine collection, le mur de ma chambre est déjà rempli de bouts de tissus et de différentes matières.

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Que fais-tu aujourd’hui pour te faire connaître ?

Je communique sur Instagram, et je fais pas mal d’événements tous les mois. Le mois de Février a été très riche en événements. J’ai tout d’abord participé au salon Première Classe à Paris, au Jardin des Tuileries, dans lequel j’ai organisé un atelier de customisation de pièces récupérées à travers ma technique de recyclage. J’ai également été exposé à la Villa Cavrois, et je viens tout juste de gagner le concours Talons Aiguilles de l’EDHEC. En début d’année, j’ai participé à Who’s Next et l’Open Mode Festival. Je fais également des partenariats, avec des artistes photographes comme Martin Abega. J’aimerais à l’avenir organiser mes propres événements, diffuser mon univers à travers le marketing expérientiel afin de créer une réelle expérience pour les gens. On développe actuellement une nouvelle stratégie avec ma chargée de communication.

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Portrait masqué du grand-père de Nicolas

On ? Tu n’es donc pas tout seul derrière MAFIA ?

Non, MAFIA est un groupe. J’aime cette idée de fédérer, de rassembler. Je monte actuellement une équipe, et je veux transmettre les valeurs familiales qui me caractérisent. Ma meilleure amie gère la communication, les collaborations. Une autre personne s’occupe de la comptabilité, des ressources humaines. Il y a également dans MAFIA une modéliste issue d’ESMOD, et je recherche actuellement quelqu’un pour gérer les affaires internationales et le droit. Je n’ai pas peur de dire que je n’arriverais à rien tout seul. J’ai besoin d’être entouré, les bons moments ont beaucoup moins de saveur lorsque tu es seul.  

Tout a l'air de bien se dérouler, c’est top !

Oui ! À côté de tout ça, j’ai également ma casquette de styliste chez Jules qui est hyper motivante. Je suis en plein coeur du projet Fashion Cube développé par l’Association familiale Mulliez (AFM). Mon rôle est d’innover et de tester des choses plus orientées mode pour la marque, tout en essayant de nouvelles matières et en adoptant des pratiques plus éco-responsables. Concernant les projets à venir, je vais créer une nouvelle collection, avec des pièces plus commerciales que la collection précédente. Je vais peut être commercialiser mes créations en Asie.

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Tes mannequins portent des cagoules, quelle est la raison ?

Personne ne représente Mafia. Mafia est un groupe, une entité, une famille. Au-delà de ça, je vois le mannequin comme une toile où j’explose ma créativité.

Tu les développes toi-même ?

Oui, avec de la maille côtelée et de la maille 3D. La maille 3D est hermétique, de façon à ne pas voir le visage de la personne qui porte la cagoule, mais qu’inversement, le mannequin puisse avoir une vision complète. 

La création mode est-elle un art selon toi ?

Ça dépend des perspectives et de la vision de chacun par rapport à ce sujet. Pour certaines personnes, la mode s’apparente simplement à un besoin de s’habiller, pour d’autres, elle permet de faire rêver. Je perçois actuellement les deux. Selon moi, elle peut donc être un art ou non, en fonction de chacun. 

Des conseils à donner aux jeunes créateurs qui souhaitent lancer leur marque ?

Croyez en vos rêves, et ne vous laissez pas décourager. Il faut croire en soi et en ses projets, même si ça paraît perdu d’avance.
Il faut surtout kiffer, et faire les choses avec passion.

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